Dany Bahar : le Rastignac de l'automobile !
Une gueule à la Laurent Delahouse, un parcours éclair chez les plus grands (Red Bull, Ferrari), une histoire rocambolesque à la tête d’une marque de sport britannique, un parfum de souffre et de scandale, un come-back à la tête d’un improbable « tuner » basé à Modène en Italie : je ne pouvais pas continuer à ne pas parler de Dany Bahar.
Cela faisait longtemps que j’y pensais, mais j’avais renoncé devant la montagne d’informations contradictoires disponible sur le net. S’il a au moins réussi quelque chose, c’est bien de se faire connaître. Tapez son nom sur Google et 162 000 résultats pertinents vous arriveront à la figure. Bref, jusqu’à présent, je refusais l’obstacle, attendant de trouver le courage de m’y attaquer.
L’Elise 2010Il a fallu l’annonce en fanfare ce mois-ci de la création de la marque Ares, une sorte de Mansory rital, avec à sa tête le fameux Bahar pour que je me décide. Ce qui ressort de mes petites recherches, c’est que Dany Bahar est un homme controversé : certains le défendent (comme Steeve Cropley, le rédacteur en chef d’AutoCar), beaucoup le dézinguent, et d’autres y voient une histoire plus complexe, et moins binaire que ce que l’on veut bien le dire : je fais partie de ceux-là.
L’Elan 2010Ex bras droit de Dietrich Mateschitz chez Red Bull, Dany Bahar rejoint Ferrari en 2007 en tant que « Senior Vice President Commercial and Brand ». Mais à peine deux ans après, le voilà qui signe avec Lotus pour en devenir CEO en 2009, avec pour objectif officiel de relancer la marque, filiale du malaisien Proton, en grande difficulté financière. A cette époque là, je m’étais fait la réflexion suivante : qu’aurais-je fait à sa place ? Honnêtement, je serais resté chez Ferrari, pour parfaire mon expérience. Et puis l’aventure Lotus, même si c’est une challenge motivant, était vraiment risquée. Dany Bahar lui a choisi le risque. Mais aujourd’hui une rumeur persiste : Ferrari était bien content de s’en débarrasser et sans doute risquait-il de se faire éjecter : l’option Lotus était donc une aubaine.
L’Elite 2010Le voilà donc CEO de Lotus, avec semble-t-il carte blanche pour relancer la marque. Bahar choisit une stratégie en deux axes : proposer le plus rapidement possible une gamme très large de véhicules sportifs pour sortir de la monoculture de l’Elise, et changer l’image du constructeur. A priori, jusque là, rien à dire. Sauf qu’à partir de là, Dany Bahar va tout faire à l’envers.
La future gamme Lotus, présentée au Mondial de l’Auto 2010En 2010, au Mondial de l’Automobile à Paris, Lotus nous sort de son chapeau 5 concept-cars préfigurant la nouvelle gamme : la nouvelle Elise, l’Elan, l’Esprit, l’Eterne (une berline) et l’Elite. A cette époque, j’étais partagé : super content de voir la marque à nouveau ambitieuse, et étonné de cette stratégie de présentation en masse. Présenter 5 nouveaux modèles d’un coup, c’est prendre le risque de voir ses ventes plonger dans l’attente desdites nouveautés. Enfin, que dire du style de ces modèles : tous identiques, sans style particulier, sans personnalité, sans gènes Lotus irais-je même jusqu’à dire. Erreur majeure, erreur de débutant à mon sens. Mais des rumeurs courent aussi sur ce sujet-là : ce coup d’esbroufe n’était pas destiné aux futurs clients, mais plutôt à de futurs investisseurs. Les défenseurs du beau Dany pensent à une stratégie concertée avec la maison-mère Proton afin de gonfler artificiellement la valeur de Lotus, et d’attirer les investisseurs pour se débarrasser du boulet anglais.
Dany et Swiss Beatz posent ensemble sur le capot d’une LotusEn attendant, les ventes s’écroulent, les dettes s’accumulent tandis que Dany mène grand train : des voyages en jet, une Lotus Esprit V8 restaurée à grand frais par la marque comme voiture de fonction (et tunée avec un goût incertain, très bling bling), restauration de son manoir aux frais de Lotus (il s’agit d’une rumeur, mais bon)… Mieux, le deuxième axe de sa stratégie est incompréhensible. Pour changer l’image de Lotus, la rajeunir, Dany Bahar nomme le rappeur Swiss Beatz Vice-président en charge du design créatif et du marketing en 2011.
Voici le look du nouveau patron du design Lotus: ça laisse songeur !A ce moment-là, permettez moi de croire que Dany se sait déjà perdu, et se fait plaisir. Il rêve de stars, de bling bling, de grosses voitures et de belles pépés, et se paye sur la bête. Car entre temps, Proton a été racheté par DRB-Hicom, une société d’investissement dépendant de l’Etat malaisien. Une sorte de nationalisation. Et les experts du groupe vont s’intéresser de très près aux comptes de cette dispendieuse filiale britannique. Permettez-moi de penser qu’alors, c’est la fuite en avant pour Dany. Recruter un rappeur pour diriger le marketing d’une marque mythique britannique ? N’y avait-il que moi pour trouver cela incongru à l’époque ? De toute façon, les jours sont désormais comptés pour Bahar.
L’Esprit V8 de Dany, restaurée à grand frais par Lotus. Un poil tunée…Et ce qui devait arriver arriva : en juin 2012, il est viré, et le terme n’est pas exagéré. Commence alors une guerre juridique entre Bahar et DRB-Hicom, à coup de gros sous réclamés, qui laisse à penser que Dany en a sous le coude. D’ailleurs, de guerre lasse, les malaisiens finissent par lâcher l’affaire en mai dernier : à coup de millions d’euros, on solde les comptes une bonne fois pour toute (le montant reste secret). De là à dire qu’on achète le silence du beau Dany ?
L’Eterne 2010Une chose est sûre, Dany Bahar est désormais grillé, et n’a plus d’autre solution que de lancer sa propre boîte, ce qu’il fait dans la foulée, annonçant la création d’Ares. On y retrouve son goût du bling bling, puisqu’il s’agit tout bonnement de tuning de luxe, ou de transformations hasardeuses (comme une version shooting brake de l’Aston Martin Rapide). De toute façon, Dany a les poches pleines désormais.
Grâce aux millions d’une transaction secrète, Bahar se relance avec la marque Ares.De son côté, Lotus a entrepris d’assainir ses comptes sous la houlette du sérieux Aslam Bin Farikullah, ingénieur de chez Proton. Il faudra attendre le premier trimestre 2014 pour voir les ventes repartir à la hausse, et juin pour qu’un nouveau CEO soit nommé, Jean Marc Gales, ancien de chez Daimler, GM, VW et surtout ancien membre du directoire de PSA de 2009 à 2012, en charge du pilotage des deux marques et artisan de la stratégie DS dans le monde. Adieu bling-bling.
Après le bling-bling de Bahar, place au sérieux de Jean Marc GalesDifficile de trouver la vérité dans cet imbroglio, et j’ai tendance à penser que la vérité se trouve au milieu : un homme sulfureux, mais recruté justement pour son côté charmeur et casse cou afin de valoriser rapidement Lotus, dont la mission dérape par l’arrivée d’un nouvel actionnaire, et qui n’ayant plus rien à perdre s’en donne à cœur joie. Je vous laisse vous faire une opinion par vous même.