Daimler SP 250 : l'épine dans le pied de Jaguar !
Ce n’est pas parce que je vais essayer des voitures modernes que j’en oublie pour autant les anciennes. Et s’il m’arrivait par malheur de les oublier, le hasard se chargerait de les rappeler à mon bon souvenir. C’est en tout cas l’impression que j’ai eu en sortant prendre l’air au petit matin à Porto, avant d’aller faire tourner la Peugeot 308 GTI sur le circuit de Braga. Car perdues dans la brûme, décalées sur le parking à cause de l’impressionnante armada de GTI, quelques anglaises attirèrent inévitablement mon attention. Des amateurs de belles anglaises faisaient étape au même hôtel, et parmi quelques modèles plus connus (Jaguar Type E ou MkII, Triumph) se cachaient 3 exemplaires totalement restaurés de Daimler SP 250 !
Paraissant presque neuves, elles ne manquèrent pas d’intriguer certains de mes camarades, s’étonnant de leur ligne singulière, où l’avant semble sans aucun point commun avec l’arrière. Si la proue est plongeante et presque molle, la poupe est, elle, enlevée et saillante, donnant ainsi à la SP250 une drôle de silhouette. Mais si cette ligne justement divise (elle a ses fanatiques, mais aussi de nombreux détracteurs), l’histoire de ce modèle, le dernier produit par Daimler avant son rachat par Jaguar, est savoureuse, tandis que son V8 spécifique enchante ceux qui l’ont pratiqué.
L’une des folies de Lady Docker, la Daimler Stardust de 1954Dans les années 50, Daimler, fournisseur officiel de la Reine en matière d’automobiles, fait partie du groupe BSA (Birmingham Small Arms), une sorte de conglomérat produisant des motos (sous les marques BSA et Triumph), des autos (Daimler donc mais aussi le carrossier Hooper, ou le fabricant de taxis Carbodies) et des armements et véhicules blindés. Depuis le début des années 40, c’est Lord Bernard Docker qui préside aux destinées du groupe. L’homme se remarie en 1949 avec Norah Royce Turner, déjà divorcée deux fois, et va vite perdre la tête sous la coupe de la nouvelle Lady Docker. C’est elle qui, en sous-main, donne une nouvelle stratégie à Daimler : le luxe abordable, afin de gonfler les volumes de production. Non seulement la stratégie échouera, laissant Daimler exsangue, mais les frasques et le goût du faste de l’ex-danseuse de bar enfonceront encore plus le clou : fêtes grandioses, où les ouvriers du groupe sont invités, train de vie luxueux et ostentatoire aux frais de la société, et surtout, la réalisation pour madame de 5 voitures hors de prix : la Gold Car en 1951, la Blue Clover en 1952, la Silver Flash en 1953, la Stardust en 1954 et la Golden Zebra en 1955. Comble du comble, la vénérable maison Daimler perd son agrément auprès de la Reine après des problèmes de fiabilité des véhicules royaux.
C’en était trop pour les actionnaires du groupe BSA, qui finit par virer Bernard Docker (et sa femme in extenso) en 1956. Il faut d’urgence redresser la barre, et le nouveau boss, Jack Sangster, décide de lancer un nouveau produit, un cabriolet sportif doté d’un V8 de 2,5 litres conçu sous la houlette d’Edward Turner. Le projet, dénommé Dart, va être développé en 1957 et 1958, autour d’un châssis très inspiré de la TR3 (certains diront copiés), d’une carrosserie en métal ou fibre de verre en option dessinée par Percy McNally (qui vient de chez Carbodies) et Jack Wichers (issu du sérail Daimler): c’est à ces deux hommes que l’on doit cette drôle de ligne ! L’idée est simple : faire rapidement rentrer du cash en profitant du marché américain pour écouler ces cabriolets, et relancer la marque. Les objectifs sont ambitieux : 1500 modèles la première année, et 3000 par an ensuite !
Malheureusement, tout ne se passe pas comme prévu. Initialement appelée Dart, la nouvelle Daimler présentée en 1959 doit changer de nom : Dodge avait déjà acheté l’appellation ! La première série (Spec A) fait sensation, mais doit faire face à de graves problèmes de rigidité. La première version de la SP 250 (son nouveau nom) est une catastrophe: les portes s’ouvrent dans les virages. Il semble évident que la nouvelle voiture de sport de la marque (dont c’est le premier modèle de ce type), ne la sauvera pas : BSA revend en 1960 la marque Jaguar, qui ainsi prend le contrôle d’un concurrent.
A peine Sir Lyons a-t-il pris le contrôle de Daimler qu’il décide de sauver les meubles en lançant une deuxième série, la « Spec B » qui règle enfin les problèmes de rigidité de la voiture. Pourtant, il n’aime vraiment pas cette SP 250, concurrente moins chère de sa Type E, et qu’il trouve physiquement très ingrate. Il lancera tout de même en 1963 une « Spec C » encore un peu améliorée, mais les jours de la SP 250 sont déjà comptés.
Au milieu des Jaguar à Chicago, la SP 250 trône !Malgré l’excellence de son petit V8 offrant environ 140 ch, la SP 250 n’arrive pas à sortir du lot. Pire, l’Amérique n’accroche pas avec ce cabriolet sportif bizarrement dessiné. D’ailleurs, les designers de Daimler, conscient de ce problème, proposeront bien un projet redessiné, la SP 252, refusé cependant par Jaguar : trop concurrent encore de la E-Type, et trop cher à produire. En 1964, les dernières SP 250 sortiront des chaînes, sans pour autant s’écouler très vite, certaines restant longtemps encore en concession ! Seuls 2 654 exemplaires auront été produits en 5 ans, bien loin des prévisions. On estime qu’il en reste aujourd’hui environ 1800.
Une SP 250 en configuration Police, en vente chez Bonhams il y a quelques temps !La Police de Londres eut droit en 1963 à 26 exemplaires noirs, aux « spécifications particulières » (essentiellement dans l’accastillage, et notamment une cloche accrochée à la calandre) pour chasser les grands excès de vitesses. Elle était étrangement dotée de la boîte automatique 3 vitesses. D’autres Polices en Angleterre, en Australie et en Nouvelle-Zélande eurent droit à ce modèe « police » de la SP 250 ! Au total, plus de 30 véhicules
Le V8 quant à lui eut droit à une seconde vie, en équipant les version Daimler (plus luxueuses) de la Jaguar 240 (lire aussi : Jaguar 240), sous le nom de Daimler 2,5 V8 (1962-1967) puis V8 250 (1967-1969). Contrairement à la SP 250, cette version berline rencontra un certain succès puisque près de 17600 exemplaires trouveront preneurs.
Une Daimler V8 250, équipée du même moteur que la SP 250, sous un capôt de Jaguar 240 !En tout cas, malgré sa courte vie, et son dessin controversé, revoir comme ça, au Portugal, 3 exemplaires quasi neufs, prouve qu’il existe encore des passionnés de ce modèle. Sûrement aussi est-il plus abordable que l’inaccessible Jaguar Type E aujourd’hui. En tout cas, elle ne laissera personne indifférent, et rouler à son bord pourrait vous procurer beaucoup de plaisir tout en roulant typiquement « british ».
Images: divers, Paul Clément-Collin et Bonhams