McLaren F1 : la GT venue de nulle part
Bruce McLaren rêvait de devenir un vrai constructeur automobile, à l’instar de Ferrari, dont la production « commerciale » aurait permis de financer l’activité compétition. De son vivant, il lança donc le projet M6 GT, projet qui ne survivra malheureusement pas à la mort accidentelle du boss. Durant plus de 20 ans, McLaren resta exclusivement une écurie de course (malgré l’anecdotique Ford McLaren M81 Mustang), mais lorsque Gordon Murray, alors directeur technique de l’écurie, proposa à sa direction de créer une supercar d’exception, il trouva des oreilles attentives. Ainsi allait naître l’une des plus extraordinaires voitures des années 90, la McLaren F1.
A la fin des années 80, McLaren Racing était en pleine ascension en Formule 1 : après avoir convaincu Honda de devenir le motoriste de l’écurie en 1987, Ayrton Senna remportait le titre en 1988, tandis que son co-équipier Alain Prost l’imitait en 1989. En 1990, Senna récupérait la couronne et McLaren, bien qu’ayant trouvé en Ferrari un adversaire de taille, attaquait la nouvelle décennie en toute confiance. C’était le moment idéal pour accomplir le rêve de Bruce McLaren : lancer la meilleure GT de route possible.
La McLaren F1 destinée à la présentation restreinte de 1992 : notez les rétroviseurs qui prendront une place normale sur la version de sérieL’idée fut lancée dès 1988 par un Gordon Murray désireux de relever de nouveaux défis. Mansour Ojjeh, l’un des principaux actionnaires de McLaren via le groupe TAG, voyait d’un très bon œil ce nouveau projet, tout comme Ron Dennis, le patron de l’écurie. Dès le départ, il était clair que la future voiture serait au top de la technologie, inspirée de la Formule 1, et destinée à une production limitée afin d’en maintenir l’exclusivité. Il ne s’agissait pas de rivaliser commercialement avec Porsche ou Ferrari, mais bien de produire une GT ultra-performante, l’une des meilleures si ce n’est la meilleure, à une époque où les projets de supercars foisonnaient. En effet, on annonçait le retour de Bugatti avec une étonnante EB110 tandis que Jaguar prenait son temps pour préparer son XJ220. La Ferrari Testarossa restait une référence tandis que de nouvelles concurrentes italiennes pointaient leur nez, les sœurs ennemies Cizeta V16T et Lamborghini Diablo.
Pour espérer marquer les esprits, il fallait donc sortir une copie spectaculaire, une voiture pensée autrement. Pour cela, on allait certes miser sur la technologie et l’efficacité de la future F1, mais aussi sur des choix originaux et un design frappant et intemporel. Lorsqu’on repense à cette GT, deux images reviennent instantanément : les fantastiques portes s’ouvrant en élytre (un choix que l’on trouvera en exclusivité sur la Toyota Sera sortie en 1990) et le cockpit à 3 places privilégiant au centre le conducteur. Avec ces deux solutions, McLaren s’offrait une identité immédiate, exprimant visuellement ses capacités d’innovation.
L’idée n’était pas de produire la voiture la plus puissante, mais de trouver le meilleur compromis entre puissance, légèreté et technologie afin d’offrir une GT ultra-performante y compris sur route ouverte. Reprenant à son compte la formule de Colin Chapman « light is right », Murray tenta de réduire au maximum la prise de poids : châssis monocoque en matériaux composites (notamment la fibre de carbone), sièges ultra-fins, jusqu’à la trousse à outils en titane. Au delà du poids, l’équilibre et la tenue de route revêtait une importance particulière pour les ingénieurs de chez McLaren. La McLaren disposait ainsi d’une suspension pilotée, d’un diffuseur permettant l’effet de sol et d’un aérofrein automatique à l’arrière. Gordon Murray, qui put longuement tester une Honda NSX, déclara : « Bien sûr, la voiture que nous allions créer devait être plus rapide qu’une NSX, mais la qualité du comportement de la NSX allait devenir notre nouvel objectif ».
Le moteur V12 S70/2 de BMW Motorsport, en position centrale arrière (en haut). Le poste de pilotage avec ses 3 places (en bas). Notez le Modem permettant la liaison technique avec McLaren partout dans le monde.Pour le design, on fit appel à Peter Stevens, récent auteur de la Jaguar XJR-15. Celui-ci tenta avec succès de concilier sobriété du style, intemporalité, modernité et personnalité : encore aujourd’hui, la McLaren F1 bluffe par sa ligne très actuelle. Surtout, elle ne ressemblait à aucune de ses concurrentes de l’époque. Pour produire cette nouvelle voiture, McLaren allait en outre investir dans de nouveaux ateliers à Woking. Le projet prenait de l’ampleur malgré l’objectif d’une production limitée à 50 exemplaires.
Le proto F1 XP5 de 1993 en pleine actionCôté moteur, on tenta d’abord de se rapprocher de Honda, motoriste de l’écurie, dans l’idée d’adapter un bloc de Formule 1. Le cahier des charges insistait sur le poids, la puissance (environ 550 chevaux), la fiabilité et une aspiration atmosphérique. Malgré les liens unissant les deux constructeurs, Honda déclina la proposition, et McLaren se mit en chasse d’un nouveau fournisseur. Finalement, ce fut avec BMW que le petit constructeur anglais s’entendit. A Munich, on travaillait à l’époque sur un projet de M8 : à partir d’un V12 M70, BMW avait dérivé le S70/1, de 6 litres et 558 chevaux. Il fut bien entendu proposé à McLaren, qui le trouva trop lourd et pas assez performant. Les ingénieurs de Motorsport travaillèrent alors à une nouvelle version du M70, le S70/2, destiné exclusivement à la F1. D’une cylindrée de 6.1 litres, développant 627 chevaux et pesant 266 kg (à peine 16 kg de plus que le cahier des charges), le S70/2 s’imposa pour équiper la nouvelle McLaren F1.
La McLaren F1 LM XP1, prototype des 5 LM de série célébrant le résultat de 1995 au Mans.Pour valider les solutions techniques choisies sans éveiller l’attention, on utilisa en 1991 deux « mulets » dans la plus pure tradition des kit-cars anglaises, des Ultima Mk3 surnommées Albert et Edward, qui furent détruits par la suite. En mai 1992, le style était figé et présenté à un public très restreint trié sur le volet à Monaco. De même, le prototype XP1 commençait à rouler dès cette année pour assurer le développement de la voiture, tandis que le XP2 servit pour les crash-tests. En 1993, la voiture approchait de plus en plus de la série, avec la construction des XP3, XP4 et XP5. Enfin, en 1994, la production pouvait commencer. Forcément, avec une telle débauche d’investissement et de technologie, et pour une série si limitée, le prix était astronomique : 6 millions de francs à l’époque, ce n’était pas rien.
La McLaren F1 GT de 1997, à l’arrière rallongé.Pourtant, la McLaren F1 se vendit mieux qu’attendu : 64 exemplaires trouvèrent preneur. Il faut dire que la participation de la marque aux 24 heures du Mans et sa domination (5 F1 GTR spécialement développées pour les courses d’endurances terminèrent en 1ère, 3ème, 4ème, 5ème et 13ème place de l’épreuve mancelle) firent beaucoup pour l’image de cette GT venue de nulle part. Pour célébrer cet événement, 1 prototype ainsi que 5 exemplaires de la F1 LM furent produits (avec une puissance accrue à 680 ch et divers appendices rappelant les 5 GTR du Mans). De même, 1 prototype et 2 exemplaires de la F1 GT, version allongée pour plus d’appuis et d’aérodynamisme, furent construits. Au total, 106 voitures sortiront des ateliers de Woking entre 1993 et 1998 (71 versions « street legal », 7 prototypes, et 28 F1 GTR de course). Après l’aventure F1, McLaren Automotive cessa de produire ses propres modèles pour se charger du développement puis de la production, à partir de 2003, de la Mercedes SLR.
En haut, des McLaren GTR de course dans leurs stands. En bas, assortiment de McLaren.La McLaren F1 est aujourd’hui un mythe pour tout amateur éclairé d’automobiles. Malheureusement, les tarifs stratosphériques des débuts le sont restés : difficile d’établir une cote précise mais sachez qu’en 2017, une rare version américaine (surnommée Ameritech, 7 exemplaires de F1 destinés aux USA) s’est arrachée à plus de 15 millions de dollars. Autant dire qu’il ne sera pas facile d’assouvir sa passion.
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES MCLAREN F1 (1993-1998) | |
Motorisation | |
Moteur | V12 BMW S70/2 à 60°, 48 soupapes |
Cylindrée | 6 064 cc |
Alimentation | injection, atmosphérique |
Puissance | 627 ch à 7 400 trs/min |
Couple | 650 Nm à 5 600 trs/min |
Transmission | |
Roues motrices | Arrière |
Boîte de vitesses | BVM 6 vitesses |
Dimensions | |
Longueur | 4 287 mm |
Largeur | 1 820 mm |
Hauteur | 1 140 mm |
Poids à vide | 1 138 kg |
Performances | |
Vitesse maxi | 370 km/h, 0 à 100 km/h en 3.5 secondes |
Production totale | 106 exemplaires tous modèles confondus |
Tarif | |
Cote moyenne 2018 | nc |